Un dessert dans le siècle :
la tarte des Demoiselles Tatin

Les sœurs Tatin, c’est une grosse part dans le gâteau de l’Histoire de France, qu’il faut mordre à pleines dents pour deviner les goûts d’antan et comprendre les envies à venir. Ces évolutions sensorielles fondent le présent des Demoiselles, une aventure de gastronomes en quête de produits vrais, de belles rencontres et de plaisirs partagés.

L’hôtel des délices

Au cœur de la giboyeuse Sologne, Stéphanie et Caroline Geneviève Tatin, créent en 1894 l’Hôtel du Pin d’Or qui devient vite, par l’excellence de l’accueil, l’Hôtel Tatin. Les chasseurs autochtones s’y régalent d’une gastronomie inventive, les bourgeois parisiens y donnent leurs rendez-vous canailles, les mondains trouvent refuge dans le luxe d’un cadre idyllique la Belle Époque bat son plein à Lamotte-Beuvron.

La légende d’une légende

La renommée de l’hôtel dépasse ainsi les frontières de l’hexagone : tous les clients louent l’inépuisable ferveur de la cuisine des Demoiselles. Leur tarte retournée aux pommes devient l’objet d’un véritable engouement. L’influent critique gastronomique Curnonsky la célèbre dans son livre sur l’orléanais. Les éloges fleurissent partout, ainsi qu’un mystère autour de l’invention du dessert. La recette découlerait d’une erreur, d’un empressement maladroit devant les fourneaux. Les deux cuisinières maintiennent le suspens : elles confient bien volontiers les ingrédients de la tarte « superstar », mais jamais le processus de fabrication.

L’espion venu du Nord

Le restaurant parisien Maxim’s inscrit la désormais célèbre Tarte Tatin sur sa carte des desserts. Afin d’en parfaire la réalisation, l’établissement de la rue Royale fait embaucher chez ses consœurs un apprenti-pâtissier… chargé d’espionner les cuisines. Le jeune faquin est vite débusqué par Germaine Marcel, la nouvelle directrice de l’hôtel solognot. La convoitise et l’appât du gain n’auront pu confondre l’énigme… C’est au contraire l’idéal du travail bien fait qui va garantir pérennité et intégrité à la mythique pâtisserie.

Tout feu, tout flamme

L’authentique recette de la tarte des Demoiselles Tatin est transmise uniquement aux propriétaires successifs de l’hôtel. Germaine Marcel l’apprend ainsi aux côtés de Caroline Marie Stéphanie Tatin, dernière de la lignée Tatin. Rempli de pommes, de beurre et de sucre, le moule en cuivre est placé sur le « potager » (l’ancêtre du fourneau). Un « four de campagne » vient alors au-dessus, sans toucher le couvercle de pâte qui recouvre les ingrédients. La tarte est littéralement cuite entre deux feux. Pour la suite du mode opératoire, il faut maintenant demander à Marie…

Le temps retrouvé

Marie-Claude Bisson, la petite fille de Germaine, reprend l’hôtel avec son époux au mitan des années 60 ; elle hérite de la recette et du « tour de main » de son aïeule. Contrainte à revendre l’affaire, elle déménage l’ensemble du matériel historique et poursuit, dans la fidélité des traditions, à réaliser des tartes renversées dans les nombreux établissements qu’elle fonde par la suite. Son précieux savoir-faire demeure l’atout maître de l’aventure d’aujourd’hui : l’ambitieuse production d’une pâtisserie de terroir et d’amour, avec les atouts de la modernité. La tarte des Demoiselles, enfin disponible pour tous dans sa vérité, aura toujours le goût de l’enfance et des pommiers en fleurs.